APPORT DES METHODES D’APPRENTISSAGE POUR LA SIMULATION DES ECOULEMENTS LIQUIDE-LIQUIDE PAR COUPLAGE DIRECT ENTRE L'IMAGERIE ET LE BILAN DE POPULATION

 

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Contexte et objectifs

La production d’énergie « bas carbone » repose sur des technologies qui utilisent de nombreux métaux et terres rares dont l’extraction minière est un enjeu technologique et surtout écologique. A l’image de celle qui a été développée depuis plus de 40 ans pour l’énergie nucléaire, la mise en place d’une filière de recyclage de ces matériaux est donc une étape indispensable d’un modèle de production énergétique bas carbone vertueux. Une des voies de référence possibles pour le recyclage de ces matériaux est l’utilisation de procédés hydrométallurgiques car ils sont particulièrement adaptés à la séparation et la purification de matrices complexes. Naturellement, la moindre amélioration les concernant a un impact économique et environnemental conséquent. Pour mémoire, un procédé hydrométallurgique repose généralement sur trois familles d’étapes : la mise en solution des différents matériaux, la séparation sélective, et la récupération sous forme solide.

Ce sujet se focalise sur l’étape de séparation sélective par le biais de l’extraction liquide-liquide par solvant. En génie des procédés, la conception numérique des contacteurs d’extraction liquide-liquide, tout comme l’amélioration de leur efficacité, est dépendante au premier ordre de la capacité à prédire la surface d’échange entre les fluides au sein de l’écoulement diphasique, en fonction du type d’appareil et des conditions opératoires. De nombreuses corrélations, pour la plupart empiriques, sont proposées dans la littérature pour calculer la surface d’échange entre les fluides dans les contacteurs usuels, tels que les colonnes pulsées ou encore les mélangeurs-décanteurs [1-3]. Une des difficultés est que ces corrélations ne sont pas extrapolables à d’autres configurations ou conditions expérimentales. De plus, elles ne permettent de prédire que le « hold-up » et/ou le diamètre moyen des particules mais pas leur distribution complète. Il est possible d’aller plus loin en utilisant des bilans de population des gouttes (PBE, Population Balance Equation) [4,5]. Ces équations intégro-différentielles permettent de déterminer l'évolution temporelle de la population selon un, par exemple la taille, ou plusieurs critères. Elles s’appuient sur des modèles pour les termes sources (noyaux) qui quantifient les événements de rupture et de coalescence. Ces derniers rendent compte des effets des interactions, parfois à très petite échelle, entre les gouttes et l’écoulement. Dans le cas de l'extraction liquide-liquide, ces noyaux de rupture et de coalescence sont des fonctions complexes difficiles à établir car elles dépendent à la fois des propriétés physico-chimiques (tension interfaciale, densités, viscosités, …) des phases et de l'écoulement dans le contacteur (généralement turbulent pour favoriser la rupture et minimiser la résistance au transfert de matière). En effet, en régime turbulent, la distribution de taille des gouttes est surtout influencée par les plus petites échelles de l’écoulement (domaine inertiel) [4-5] car la rupture et la coalescence des gouttes dépendent de l’énergie des tourbillons microscopiques qui déstabilisent leur surface et influe sur leurs fréquences de collision. A l’échelle macroscopique, le mouvement d’ensemble influence principalement l’homogénéité de la distribution de taille des gouttes dans le contacteur. En conséquence la détermination de ces noyaux passe aujourd’hui par une description suffisamment fine de l’écoulement (classiquement déterminée par CFD), qui repose sur des hypothèses généralement non valables pour les écoulements diphasiques concentrés. Qui plus est, les modèles de coalescence et de rupture turbulents ne sont généralement pas adaptés aux fluides visqueux.

Historiquement, les bilans de population [6], se sont appuyés sur le taux de dissipation d’énergie cinétique turbulente moyen dans le contacteur supposé uniforme, ce qui est éloigné de la réalité. Plus récemment, de nouvelles approches prenant en compte la non uniformité de la turbulence dans l’appareil via des fonctions de densité de probabilité plutôt que via la valeur moyenne, ont été proposées [7].

Dans le même temps les méthodes d’intelligence artificielle, en raison des progrès constants du calcul haute performance, ont connu un essor fulgurant. Elles ont déjà été utilisées pour prédire les performances d’un réacteur [8] mais c’est surtout dans le domaine de la caractérisation géométrique de la phase dispersée des écoulements diphasiques qu’elles ont été appliquées avec le plus de succès [9-11].

Aujourd’hui, les noyaux de rupture/coalescence sont donc déduits par méthode inverse à partir de la distribution de taille de gouttes, elle-même obtenue par acquisition et traitement d’images à l’aide de méthodes déterministes de type « pattern matching ». Ils sont ensuite corrélés aux paramètres hydrodynamiques dans le réacteur. Dans cette thèse, nous proposons de mettre à profit les méthodes d’apprentissage profond, pour entrainer des réseaux de neurones à déterminer directement ces paramètres des noyaux de rupture et de coalescence à partir d’images denses d’émulsion. 

Méthodologie

L’objectif principal de cette thèse est de tirer parti des méthodes d'apprentissage profond pour entraîner des réseaux neuronaux et déterminer directement les noyaux de rupture et de coalescence à partir d'acquisitions d'images d'émulsions denses. Pour des raisons de simplicité, l’étude sera limitée à un seul type de contacteur liquide-liquide : le mélangeur décanteur qui est le plus utilisé par les industriels.

Comme l’entraînement doit se faire sur une base d’images conséquente et représentative, ces dernières seront acquises sur différentes configurations expérimentales, en considérant différentes natures de fluide, différents types de mobiles d’agitation et éventuellement différentes géométries (circulaire ou à base carrée) de cuves. Un effort particulier sera porté sur les milieux concentrés qui sont à ce jour difficiles à caractériser et à simuler. Sur le plan des techniques d’imagerie l’ensemble des moyens à la disposition des laboratoires (imagerie endoscopie, imagerie directe, imagerie par fluorescence dans un plan, etc.) seront utilisés pour mesurer la distribution de tailles des gouttes. Sur le plan du traitement d’image, ce premier axe de la thèse sera l’occasion de mettre en œuvre des premiers outils basés sur les méthodes d’apprentissage. Deux familles de réseaux pourront être étudiées, i) le couplage entre les Faster-RCNN et les CNN pour détecter les gouttes et mesurer leur forme [10], ii) les réseaux adverses (GANs [11]) pour générer des images d’écoulements qui pourront elles-mêmes enrichir la base d’apprentissage. Ce premier volet permettra au doctorant de se familiariser à la fois avec le fonctionnement et la dynamique des mélangeurs-décanteurs et avec les méthodes d’apprentissage machine.

Dans un deuxième temps, il s’agira d’entrainer un second algorithme d’apprentissage pour inférer les noyaux de rupture et de coalescence avec les paramètres hydrodynamiques directement à partir des images. Les différents types d’images seront exploités séparément et de façon couplée. En fonction de leur pertinence, les images produites à partir des réseaux GANs seront aussi intégrées à l’apprentissage. Une fois le réseau entrainé, ses prédictions seront évaluées par comparaison avec les approches classiques de détermination des noyaux basées sur les méthodes conventionnelles de traitement d’image.

Dirigée par Nida Sheibat-Othman (Directrice de recherche au CNRS/LAGEPP), les travaux de cette thèse seront essentiellement menés au sein du LRVE, avec comme co-directeur Fabrice Lamadie (Ingénieur-Chercheur au CEA Marcoule) en collaboration avec Didier Lucor (Directeur de recherche au CNRS/LISN). Les travaux théoriques seront réalisés au sein des trois équipes en fonction des besoins ; les essais expérimentaux se feront au LRVE et/ou au LAGEPP qui disposent des compétences et outils qui leur sont associés.

Eléments bibliographiques

[1] A.W. Pacek et al., On the Sauter mean diameter and size distributions in turbulent liquid/liquid dispersions in a stirred vessel, Chem. Eng. Sci., (1998).

[2] S. Mohanty, Modeling of liquid-liquid extraction column: a review, Rev. Chem. Eng. (2000).

[3] K. Sreenivasulu et al., Drop size distributions in liquid pulsed columns, Bioprocess Eng. (1997).

[4] D.L. Marchisio, R.O. Fox, Computational Models for Polydisperse Particulate and Multiphase Systems, Cambridge University Press, Cambridge, 2013.

[5] D. Ramkrishna, Population balances: theory and applications to particulate systems in engineering, Academic Press, San Diego, CA, (2000).

[6] C.A. Coulaloglou, L.L. Tavlarides, Description of interaction processes in agitated liquid-liquid dispersions, Chem. Eng. Sci, (1977)

[7] Simone Castellano et al., Description of droplet coalescence and breakup in emulsions through a homogeneous population balance model, Chem. Eng. Journal, (2018).

[8] Chouai A. et al., Multivariable Control of a Pulsed Liquid-Liquid Extraction Column by Neural Networks, Chem. Eng. Proc., (2000).

[9] Kim, Y. and Park, H, Deep learning-based automated and universal bubble detection and mask extraction in complex two-phase flows, Scientific Reports, (2021).

[10] Haas, T. et al., BubCNN: Bubble detection using faster RCNN and shape regression network, Chem. Eng. Sci., (2020)

[11] Fu, Y. and Liu, Y., BubGAN: Bubble generative adversarial networks for synthesizing realistic bubbly flow images, Chem. Eng. Sci., (2020).